J’étais un enfant poubelle (Boris Cyrulnik)

Interview du célèbre psychiatre par Mme Delphine Perez, dans La Parisienne (3 juin 2019).

A l’âge de 5 ans, Boris Cyrulnik est arrêté par la Gestapo lors d’une rafle à Bordeaux. Le petit orphelin s’évade en se cachant sous un corps ensanglanté dans une ambulance. Seul et dénutri, il survit à la guerre grâce à l’aide des Justes. Rien, pas même cette enfance terrible, ne l’empêchera de s’imposer comme l’un des plus grands neuropsychiatres français. Il est le spécialiste de la résilience, le concept qui démontre qu’un enfant peut surmonter les pires traumatismes s’il a été sécurisé lors des tous premiers mois de son existence.

Dans son nouveau livre, «La nuit j’écrirai des soleils », le célèbre neuropsychiatre décrypte les pouvoirs extraordinaires du récit.

A 82 ans, Boris Cyrulnik fait encore du ski et parcourt le monde pour assurer des conférences sur la résilience. D’une élégance sobre dans ce café parisien pour parler de son nouveau livre, « La nuit j’écrirai des soleils » (Ed. Odile Jacob), le neuropsychiatre nous raconte pourquoi les plus grandes oeuvres artistiques ont été réalisées dans la souffrance et l’importance fondamentale du récit dans notre représentation du monde.

Pourquoi ce titre de votre livre « La nuit j’écrirai des soleils » ?

Car il faut connaître le manque pour pouvoir créer et le noir pour espérer la lumière. Comme le poète Jean Genet qui a écrit en prison ses plus grands poèmes.

Qu’est-ce que le réel ?

Le réel, on ne se sait pas ce que c’est. Il agit sur nous. On s’y adapte grâce à notre corps en respirant par exemple, de manière automatique. Le réel devient conscient, lorsqu’on fait des récits. On choisit des mots, on les agence ensemble pour créer une représentation du réel qu’on appelle alors la réalité.

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Quel est le rôle du récit ?

Il est possible de combattre le manque, la perte, la souffrance grâce aux mots. Les mots transforment le réel en «mythe». Les faits ne changent pas. Mais la représentation de ces faits peut changer. Le sens qu’on donne aux choses, c’est-à-dire la représentation qu’on s’en fait, modifient la manière dont on les ressent.

Qu’est-ce que la résilience ?

La résilience c’est quand hébété par un traumatisme, on se débat pour rester en vie. C’est reprendre un autre type de développement après une agonie psychique.

Tous les enfants peuvent-il devenir résilients ?

Depuis une dizaine d’années, on sait que la résilience dépend de la sécurisation du bébé lors des tous premiers mois, avant l’apparition de la parole.

Comment ça marche ?

Si un bébé a été sécurisé lors de ces premiers mois, il bénéficie d’une empreinte neurologique. Quand il lui arrivera un malheur, il en souffrira, mais il sera facile à aider, car il gardera espoir. Il suffira d’une main tendue, d’une personne aimante croisée sur son chemin et hop il va pouvoir construire un processus de résilience.

Et pour ceux qui n’ont pas été sécurisés ?

Les enfants qui ont été vulnérabilisés dans les premiers mois ne pourront pas construire de processus de résilience.

Vous avez des exemples ?

Comme beaucoup d’orphelins, enfant je me considérais comme un enfant poubelle. Mais ma mère m’a sécurisé quand j’étais bébé, j’ai donc voulu sortir de « ma poubelle », en étudiant la médecine. L’écrivain Jean Genet, lui a été abandonné par sa mère. Il n’a pas été sécurisé et il n’a jamais pu sortir de « sa poubelle », alors il l’a érotisée. « J’aime ma poubelle, j’aime la merde », disait-il. Comme Arthur Rimbaud.

Pourquoi certains résistent mieux à de grands traumatismes ?

Il n’existe pas de petits ou grands traumatismes. Il y a des gens qui surmontent des trucs énormes parce qu’ils ont confiance en eux et qu’ils ont été entourés. Il y a des gens qui s’effondrent sur des petites difficultés, parce qu’ils sont seuls, qu’ils ont été vulnérabilisés bébés à un stade préverbal. Dans le monde, 2 enfants sur 3 acquièrent un attachement sécure avant l’âge de 10 mois. soit 66%. Quand un malheur arrive, ils souffrent et ils surmontent. Donc 1 enfant sur 3 est vulnérabilisé.

Partout dans le monde ?

Sauf aux Etats- Unis, où seulement 51% des enfants américains sont sécurisés. La culture américaine est en train de vulnérabiliser les enfants, ce qui fait qu’il y a de plus en plus de traumatismes, de troubles psychologiques et de refuge dans les opioïdes. Actuellement, les 4/5 des Américains sont drogués aux opioïdes (médicaments antalgiques et dérivés de la morphine).

Vous avez participé aux Assises de la maternelle, à la demande d’Emmanuel Macron, comment peut-on faire pour sécuriser les enfants ?

Il est primordial de soutenir les femmes enceintes et les mères en difficulté, il faut leur proposer des aides. Et ça passe par des des décisions politiques.

Pourquoi faut-il faire l’effort de se remémorer les bons souvenirs ?

On est programmé pour se souvenir des mauvais souvenirs. Si l’on ne veut pas se laisser dominer par les malheurs passés ou si l’on veut donner une image de soi souriante, nous devons chercher dans notre passé d’autres images, d’autres événements tout aussi vrais qui permettront de mettre à l’ombre, les souvenirs douloureux. Ce travail de remaniement de la représentation de soi n’est pas un mensonge, car en construisant inconsciemment une autre vérité, nous fabriquons un récit ensoleillé du bonheur à partager.

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