Le passage à l’âge adulte des enfants placés [Maxime Ferrer, Le Monde]

Comment les jeunes placés gèrent-ils leur passage à l’âge adulte ? Le projet ELAP, première enquête quantitative menée en France sur le sujet, livre des éléments de réponse.

Une analyse de Maxime Ferrer, parue le 31 octobre 2016 dans Le Monde.

En 2014, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère de la santé (Drees) recensait 150 346 enfants accueillis au sein de l’aide sociale à l’enfance (ASE, voir encadré). Parmi eux, près de 29 000 étaient âgés de 17 à 20 ans. Un âge crucial dans le parcours d’un jeune pris en charge, car c’est à ce moment que se joue et s’accélère la sortie de placement.

Etudier le passage vers cette autonomie est l’objet du projet ELAP (Etude longitudinale sur l’accès à l’autonomie des jeunes en protection de l’enfance), enquête quantitative inédite en France, menée par une équipe de chercheurs du laboratoire Printemps(université de Versailles) et de l’INED, dont les premiers résultats viennent d’être rendus publics.

De qui parle-t-on ?

1 622 jeunes de 17 à 20 ans pris en charge par l’ASE dans sept départements (cinq départements de l’Ile-de-France – Paris, Seine-et-Marne, Essonne, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis –, le Nord et le Pas-de-Calais) ont participé à l’enquête en répondant à un questionnaire, entre 2013 et 2014. Un échantillon représentatif des 8 150 placements dans ces territoires : 3 080 jeunes placés dans le Nord et le Pas-de-Calais et 5 070 en Ile-de-France, soit 1,3 % de l’ensemble des 17-20 ans dans ces sept départements.

« Le placement dépendant de politiques départementales, il était difficile d’atteindre une représentativité nationale, explique Isabelle Frechon, chercheuse au laboratoire Printemps, chargée de l’ELAP. Notre échantillon représente 27 % des jeunes pris en charge dans la population française, ce qui nous permet de produire des analyses suffisamment poussées. »

Ces jeunes sont pour la plupart issus de familles nombreuses (69 % déclarent avoir trois à sept frères et sœurs). Leur prise en charge par l’ASE résulte de grandes difficultés familiales (pertes des parents, violences, abandons, difficultés économiques). 26 % d’entre eux n’ont plus aucun parent (orphelins, parents jamais connus, absence de liens).

Pour Pascale Breugnot, chercheuse associée au projet ELAP, « cette part d’orphelins [ou d’absence totale de liens] est certainement sous-évaluée si on considère que 9 % des enfants enquêtés n’ont pas souhaité répondre à cette question. Plus généralement, la moitié des jeunes entre 17 et 20 ans disent ne pas avoir de personne relais dans leur entourage en cas de coup dur. Ce sont des jeunes qui ne peuvent compter que sur eux-mêmes ».

Dans leur ensemble, les jeunes pris en charge sont plutôt des garçons avec toutefois des particularités pour chacune des deux régions.

L’importance des garçons (61 %) en Ile-de-France s’explique par un contingent important de « mineurs isolés étrangers » (MIE). Paris et la Seine-Saint-Denis accueillent depuis plusieurs années une grande part de ces MIE. 47 % d’entre eux disent avoir perdu au moins un de leurs deux parents, 13 % être totalement orphelins.

« L’enquête ne permet pas de savoir s’ils ont fui un pays ou s’il s’agit d’une migration économique, précise Isabelle Frechon. Certains d’entre eux sont arrivés à l’âge de 10 ans, mais dans leur grande majorité, leur arrivée se fait vers 16 ans. Beaucoup de ces jeunes ont connu la rue, plus que les autres. »

L’enquête a permis de cartographier les pays d’origine des jeunes étrangers isolés pris en charge par l’ASE.

La moitié des jeunes de l’enquête est née en France, les autres à l’étranger, arrivés en France à la suite d’une migration accompagnée (famille) ou isolée (les MIE).

Placement et aides

Si dans le Nord et le Pas-de-Calais seulement 1 % des jeunes sont placés hors région, 19 % des jeunes de l’enquête pris en charge par les cinq départements d’Ile-de-France vivent en dehors de la région. Les placements des jeunes se ventilent en trois types d’accueils : l’accueil familial, l’hébergement collectif et l’hébergement autonome.

Outre le logement, les jeunes pris en charge par l’ASE bénéficient de différents soutiens (financiers, logistiques, éducatifs). A leur majorité, le « contrat jeune majeur » permet de prolonger le dispositif jusqu’à 21 ans.

Ce contrat permet au jeune de bénéficier d’aides au-delà de sa majorité, notamment du versement d’une allocation dont le montant varie selon la situation (le revenu médian d’un jeune majeur s’élève à 400 euros par mois).

L’objectif est d’apprendre aux jeunes à gérer eux-mêmes un budget, en particulier une fois atteint l’âge de la majorité. Chez les mineurs, ils sont 64 % à gérer leur argent seuls, 77 % chez les majeurs.

Formation

Les enfants placés sont « pour beaucoup des jeunes qui ont accumulé de nombreuses lacunes au cours de leur parcours scolaire. Leur prise en charge par l’ASE leur donne donc une chance d’obtenir un diplôme », dit Isabelle Frechon.

En général, les formations courtes sont privilégiées. Ainsi, un tiers des jeunes placés suivant une formation sont inscrits en CAP, contre 5 % dans la population générale. L’enquête montre qu’avec l’âge, le maintien des jeunes en formation s’amenuise.

Cette tendance s’explique en partie par une limite inhérente au dispositif du contrat jeune majeur : « Un jeune qui souhaite suivre un cursus universitaire risque de se voir refuser un contrat jeune majeur car la formation est trop longue », dit Isabelle Frechon.

Les formations courtes sont en effet réalisées avant l’âge de 21 ans et sont donc intégrées dans le cadre du contrat jeune majeur. Mécaniquement, les jeunes placés devront ainsi trouver un travail plus rapidement que les jeunes du même âge.

Vers l’autonomie

L’enquête a permis de montrer que près d’un jeune placé sur deux ignore, refuse ou hésite à signer un contrat jeune majeur à la veille de sa majorité. « C’est une aide contractuelle et contraignante, explique Lucy Marquet, maîtresse de conférences au Clersé (Lille-1)et chercheuse associée au projet ELAP. Pour donner un exemple, alors qu’ils accèdent à la majorité, dans le cadre du contrat jeune majeur, ils vont devoir rendre des comptes à l’institution sur la manière dont ils dépensent leur argent, sur leurs horaires d’entrée et de sortie du lieu où ils vivent. Ils auront des interdits qui leur pèsent : ne pas inviter qui ils veulent dans leur logement par exemple. Ils devront continuer une formation même s’ils ne supportent plus l’école depuis de nombreuses années. Donc ceux qui accèdent au contrat jeune majeur ce sont ceux qui se plient à ces règles. »

Au plus tard, l’autonomie d’un jeune placé a lieu le jour de ses 21 ans. Dans la population générale, 36 % des jeunes de 21 ans ne vivent plus chez leurs parents (enquête ERFI 2005).

Selon Isabelle Frechon, « ceux qui sortent du système à 21 ans ont plus de chance d’avoir consolidé un projet professionnel. Ceux qui sortent avant rencontrent plus de difficultés à trouver leur autonomie. En fait, ce n’est pas de l’autonomie. On prépare les jeunes à savoir se débrouiller avec un petit pécule ».

Pour Lucy Marquet, la question du lien social demeure la principale difficulté des jeunes à leur sortie de placement : « On leur apprend davantage à ne dépendre de personne qu’à développer des liens avec l’entourage familial ou d’autres proches vers lesquels ils pourront se tourner lorsqu’ils seront sortis. Dans le placement, les jeunes sont peu amenés à développer des relations avec le monde du travail, sont peu préparés à utiliser les services de droit commun, comme les aides sociales universelles. »

Maxime Ferrer

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