
Par Anaïs Moran — 4 juillet 2019

Une assistante socio-éducative de l’Aide sociale à l’enfance évalue les premières annonces du secrétaire d’Etat à la protection de l’enfance Adrien Taquet, pour son «pacte» qui devrait être dévoilé l’automne prochain.
«Chaque enfant devrait avoir le droit que l’Etat lui offre les conditions de grandir harmonieusement. Pour le moment, les premières mesures annoncées sont dérisoires.» Marine Bourhis est assistante socio-éducative à l’Aide sociale à l’enfance depuis 2001. Pour Libération, elle réagit aux premières mesures dévoilées ce jeudi lors d’Assises nationales à Marseille par Adrien Taquet, secrétaire d’Etat à la Protection de l’enfance. Ce dernier s’était engagé à présenter d’ici juillet «un plan global» de refonte de l’ASE. Après moult pirouettes calendaires, le grand discours ne sera finalement prononcé qu’à l’automne prochain (des missions parlementaires sont toujours en cours).
La co-saisine de deux juges des enfants pour les «décisions complexes»
Selon le secrétariat d’Etat, cette collégialité permettra d’atténuer l’hétérogénéité des décisions (placement ou non) et la lourdeur de la responsabilité du juge. A ce stade, on ne sait rien des modalités et du cadre dans lequel la co-saisine sera demandée ou obligatoire (quelles seront les décisions considérées comme complexes et qui l’arbitrera ?). Surtout, «le cœur du problème n’est pas la décision elle-même mais sa mise en application, alerte la travailleuse sociale. Lorsqu’un juge fait face à un cas difficile, il peut déjà mettre la décision en délibéré. Et puis dans la réalité, le débat entre les juges des enfants et les services de protection existe en amont. Ce sont les dispositifs de prises en charge post-jugements qui sont saturés ou inexistants», estime-t-elle. Car faute de moyens financiers et humains, il est désormais commun de voir ces décisions d’assistance éducative mises en œuvre que six mois, voire un an après leur prononcement. «Entre-temps les situations ont continué à se complexifier, avec toutes les conséquences délétères pour les mineurs et leur famille.»
Généralisation du programme «Devoirs faits» et du soutien scolaire numérique
Dispositif national permettant aux élèves de faire leurs exercices en classe plutôt qu’à la maison, «Devoirs faits» est en théorie implanté dans tous les collèges de France depuis novembre 2018. Conscient que sa mise en œuvre est encore aujourd’hui hasardeuse, Adrien Taquet veut au moins le généraliser aux enfants de l’ASE. Et souhaite étendre le soutien scolaire numérique, destiné aux enfants hospitalisés, pour les jeunes de la protection de l’enfance. Deux moyens de lutter contre les ruptures de parcours scolaire «trop anecdotiques» selon Marine Bourhis. «La vraie problématique, c’est que ces jeunes font actuellement leur choix d’études en fonction de la réalité de leur situation familiale et de l’impossibilité pour les services de l’ASE d’assurer une prise en charge d’études longues et coûteuses. Le risque pour eux, c’est de se retrouver à 18 ans sans hébergement [la plupart du temps, les mineurs en danger ne sont pris en charge par l’ASE que jusqu’à leur majorité, ndlr]et en grande difficulté financière. Aucune convention n’existe entre l’Education nationale et les départements pour sécuriser les parcours scolaires. C’est pour cette raison que les jeunes décrochent très vite. On ne les autorise pas à rêver de leur future carrière professionnelle.»
Création d’un album de vie qui réunira les souvenirs et les photos de chaque enfant protégé
«On sait combien la question des origines est importante pour se construire, et la question des origines, cela passe aussi par des choses très concrètes comme des photos parce que c’est autour de ces photos que s’articule ensuite un discours et surtout un imaginaire qui rend la vie possible», a énoncé Adrien Taquet à l’annonce de sa mesure. Ce à quoi l’éducatrice spécialisée répond : «Bien évidemment que la généralisation des albums photos ne peut qu’être bénéfique, mais cet outil est déjà largement utilisé. Au quotidien, chaque travailleur social à la préoccupation, le souci d’un parcours au sein de l’ASE qui soit guidé par l’intérêt supérieur de l’enfant. Pourquoi ne pas plutôt financer des maisons de poupée, des cahiers de coloriage, des supports ludiques et nécessaires pour soigner les traumatismes des enfants ? Ou leur offrir des vacances, des vêtements suffisants, des prises en charges thérapeutiques ? Dans la plupart de nos structures, ces budgets sont à zéro.»
Création d’indicateurs permettant de prendre en compte la parole des enfants dans l’évaluation de la qualité des procédures et des prises en charge
L’intitulé est obscur et son côté pratique, pas franchement plus clair. Au cabinet d’Adrien Taquet, on explique que «le point de vue de l’enfant doit être le point de départ pour améliorer l’aide sociale à l’enfance du XXIe siècle». Un principe qui étonne l’assistante socio-éducative : «Cela veut dire quoi ? Que les travailleurs sociaux ne se préoccupent pas suffisamment du point de vue des enfants ? C’est le cœur de notre métier que de porter leur parole.»
Dans les petits papiers du secrétariat d’Etat, il serait notamment question de demander à la Haute Autorité de santé d’étendre l’évaluation dans tous les établissements (foyers, maisons d’enfants à caractère social, accueils de jour) «en mesurant la satisfaction des usagers, à savoir les enfants». «C’est important de permettre aux enfants et à leur famille de s’exprimer. Leurs préoccupations et leurs attentes risquent d’être proches de celles des acteurs de terrain. Peut-être seront-ils plus entendus. L’Etat finira peut-être par se rendre compte que les collectivités ne peuvent pas assumer toutes seules une prise en charge financière qui garantisse l’épanouissement et développement harmonieux de ces enfants. Un jour, il constatera peut-être que ce système au bord de la rupture doit être une préoccupation d’ampleur nationale. Le soutien aux collectivités apparaît aujourd’hui indispensable.»
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