« Je fais avec ce qu’on me donne et ce que je reçois » (lettre de Nadia)

La journaliste Sonia Kronlund a consacré une émission de Les pieds sur terre aux enfants placés en foyer, en cette période de confinement (Covid-19). Voici une lettre d’une enfant placée, Nadia, publiée le 22 mai 2020.

Dans une semaine, le 11 mai, lundi , les jeunes du groupe qui sont retournés chez eux vont commencer à revenir, les éducateurs en arrêt vont reprendre leur poste. Ce qui veut dire que dans une semaine à peine, fini les moments où on peut rester dans sa chambre des heures et des heures sans être dérangé, fini le calme, celui qu’il y a eu ces deux derniers mois. J’imagine déjà les portes qui claquent, les cris, les insultes, les chahuts, et j’en passe. Après tout c’était et c’est mon quotidien depuis maintenant huit ans. Ça peut vous paraître dingue mais je n’imagine pas ma vie sans tout ça. J’ai été habituée, élevée dans un foyer. Je me suis faite à l’idée que c’était là ma place, le foyer fait partie de moi, donc je dois le prendre avec tout ce qui s’ensuit. C’était mon quotidien il y a deux mois, et ça le sera encore quelques années, avant qu’on me lâche je ne sais où encore, et que je me réhabitue à mon environnement. Après tout, l’être humain est fait pour s’adapter non ? Alors ça ne devrait pas être très difficile.

Enfin je l’espère, ce qui est dommage c’est qu’aujourd’hui je dépends de l’Aide Sociale à l’Enfance, aujourd’hui, j’ai dix-sept ans et n’ai pas de famille sur qui compter, pas de plan pour la suite, après mes dix-huit ans. Vous vous imaginez vous ? Vivre dans le doute et en vous disant que dans trois mois peut-être, votre contrat jeune majeur, qui en réalité, est pour moi une assurance vie, ne sera pas renouvelé, parce que vous avez invité une amie dans un endroit qui est sensé être chez vous. Vous vous imaginez être mis à la rue parce que vous n’avez pas trouvé d’emploi ? Vous vous imaginez dépendre d’une simple signature ? Ou d’une feuille, je ne sais pas, prenez le comme vous voulez.

Toute ma vie m’est imposée. Je pense que c’est un peu le cas de tout le monde. On ne choisit pas sa famille, ni le mode de vie qui s’ensuit. Alors dites-vous que je n’ai pas choisi d’être là. Aujourd’hui, j’ai à faire des choix qui auront des répercussions sur moi, sur mon avenir.

On est tous amenés à faire des choix, à un moment de votre vie on vous a demandé de commencer à trouver votre voie, si je puis dire, mais la plupart d’entre vous aviez la possibilité de rester en toute sécurité chez papa et maman, vous saviez que, quoiqu’il arrive, la plupart de vos parents ne vous lâcheront pas.

Toute cette chance que vous avez, c’est tout le doute que j’ai en moi. Il faut absolument que je trouve quoi faire de ma vie, sinon à dix-huit ans je serai dehors car je suis perdue. Aujourd’hui Je ne sais pas quoi faire de ma vie. La plupart des jeunes non placés en réalité, n’ont pas à s’inquiéter de demain – bien sûr je ne n’inclus pas tout le monde. La vérité c’est que j’ai eu de la chance durant mon enfance et mon adolescence, je suis tombée dans un un foyer plutôt bien dans l’ensemble. Comme je vous le dis, je dépends de l’Aide Sociale à l’Enfance. Alors je prends cette réalité avec tout ce qui s’ensuit. Je n’ai pas le choix. Je ne peux pas me permettre de bloquer sur certaines choses parce que je me dis que j’ai eu la chance de tomber dans un foyer comme celui-ci, un foyer où je n’ai pas vraiment rencontré des soucis avec les autres jeunes. Bien sûr, il y en a eu des soucis. Des très graves, et des très traumatisants, mais j’ai décidé de ne pas m’arrêter là-dessus.

Oui, j’ai eu des éducateurs qui en avaient rien à foutre de nos vies et qui nous en faisaient voir de toutes les couleurs et qui ne disaient rien quand les plus grands nous faisaient du mal, à nous les plus petits. Oui j’ai eu des chefs de services qui ne prenaient pas en compte ce qu’on leur disait quand il se passaient des choses, d’autres qui nous accusaient de choses dont on était pas forcément coupables, parce qu’ils avaient besoin de rendre des comptes aux personnes au-dessus d’eux. Ils accusaient les jeunes les plus instables dans leur comportement. Mais de toutes façons, qui aurait pris le temps de nous écouter ? Oui j’ai pleuré des nuits et des nuits en espérant que je puisse un jour avoir une vie normale même si au fond de moi, je savais que ce n’était pas possible, tout simplement parce que ma famille m’avait abandonnée. Je faisais avec les moyens du bord. Oui, j’ai eu des problèmes de comportement avec les jeunes de l’école, parce que moi j’étais celle qui n’invitait jamais ou celle sur qui on ne pouvait pas compter, car une fois que je franchissais les portes du collège, on n’avait plus de nouvelles de moi jusqu’au lendemain, et quand c’était le week-end, après le week-end, et quand c’était les vacances après les vacances. J’ai aussi été harcelée au primaire et au foyer.

Oui, j’ai aussi fait du mal à certains jeunes, parce que dans le foyer c’est bouffer ou être bouffé. Parce que face à la violence, certains éducateurs ne savent pas comment réagir ou font les aveugles. J’ai eu des terreurs nocturnes étant petite, on m’a aussi droguée pour que je reste calme. Je parle des calmants que les éducateurs demandaient aux médecins de nous prescrire. Et à chaque fois qu’il y avait une crise, ils augmentaient la dose. Il y en a qui n’en avaient rien à à foutre de ce qui pouvait nous arriver, là où ils nous laissaient. Et j’en passe tellement. J’ai aussi rencontré des personnes formidables, des éducateurs et éducatrices, et des professeurs en or, des camarades de dingue, des copines de chambres super mignonnes, des amis exceptionnels dignes de ce nom, des référents adultes sur qui je n’ai rien à dire, des médecins exceptionnels et une juge en or etc. Alors oui, aujourd’hui je m’estime heureuse, car ayant traversé tout ce qu’une fille de mon âge n’aurait jamais dû connaître, ça a forgé mon caractère. Ça aurait pu être un désastre, mais grâce à ma persévérance, et mon envie de ne prendre que le bon côté des choses- ce que je fais très bien pour le moment, j’ai réussi et je réussirai à sortir de tout ça. Bien sûr, je vais devoir travailler plus que quelqu’un de normal – entre guillemets.

Pourquoi je dis ça ? Tout simplement parce que je suis la petite fille noire du foyer. Et toutes les discriminations qui vont s’ensuivre. Je n’aurais pas forcément la chance de me fondre dans les codes sociaux. Même si je fais mon maximum. L’humain n’aime pas ce qui est différent. Aujourd’hui, je suis consciente que je vais devoir suivre une thérapie pour pouvoir mettre des mots sur ce que j’ai vécu, vu et subi. D’ailleurs je commence ma thérapie après le confinement. Alors oui je fais avec ce qu’on me donne et ce que je reçois, et j’essaie de me comporter du mieux possible pour avoir un toit sur la tête. Et avec un peu de chance de quoi payer mes études. Je prie pour que mon contrat dure le plus longtemps possible et encore une fois, je prendrai ce contrat avec tout ce qui s’ensuit, tout simplement parce que je n’ai pas le choix.


Confinement: avec les enfants en foyer, Les pieds sur terre, France Culture, 22 mai 2020.

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